Entretien avec Milpo: Où commence la Responsabilité Sociale des Entreprises?

Publié le par Huellas

 

ZOOM sur les mines au Pérou. Les richesses naturelles que le Pérou possède dans son sous-sol constituent une part importante de son PIB. Le chiffre des ventes à l'exportation de l'industrie minière a atteint 16,36 milliards de dollars l'an dernier, soit  61% de l'ensemble des exportations. La plupart des mines (or, plomb, cuivre, argent, fer, phosphates, zinc) se  trouvent dans la région andine, tandis que le gaz et le pétrole proviennent de l’Amazonie. Le Pérou possède 16% des réserves mondiales de minerais connues à ce jour. Il est le 5ème plus grand producteur d’or. Depuis la privatisation des mines nationales en 1991, le marché a été envahi par les entreprises et les investissements étrangers (9.811 millions de dollars entre 1992 et 2007). Les extractions ont été multipliées par cinq depuis cette date. Les concessions faites à la Chine en particulier se sont multipliées ces dernières années. On estime que jusqu’à présent le Pérou a extrait environ 12% de ses ressources et que l’utilisation de technologies adéquates permettrait de tripler la production. Le marché informel est très développé et, encore aujourd’hui, de nombreuses extractions sont faites de manière artisanale. A Nazca par exemple, près de 25% de la population active travaille illégalement dans les mines.

 

 

minero

 


La part importante de l’industrie minière dans l’économie péruvienne explique le rôle crucial des compagnies extractives en termes de Responsabilité Sociale. Les employés de ces compagnies aspirent à plus de sécurité et les populations entourant les mines réclament leur part du gâteau. Tous voient d’un mauvais œil l’arrivée massive d’entreprises étrangères et hésitent de moins en moins à hausser le ton. De nombreuses grèves ont éclaté ces dernières années, et suite à de très mauvaises gestions des conflits certaines émeutes se sont terminées en bain de sang. Le climat reste très tendu dans les mines, et la question de la Responsabilité Sociale des entreprises minière est délicate. Par nécessité la plupart des grandes entreprises minières ont développé de nombreux services destinés à leurs employés (logement, nourriture, sécurité sociale) travaillent à l’amélioration constante de leurs politiques RSE, avec des impacts environnementaux et sociétaux variables.


L’Etat péruvien joue un rôle particulier dans ces évolutions. En plus des importantes royalties versées aux municipalités et régions d’exploration et d’exploitation, les entreprises se voient obligées par la loi de reverser 8% de leurs bénéfices à la communauté sous la forme d’ « apports volontaires ». Elles s’associent généralement avec des ONG locales pour financer des projets sociaux ou créent en interne leurs propres programmes. Il s’agit le plus souvent d’investissement « philanthropiques » : construction d’école, de centre de formation ou d’hôpitaux. Ces pratiques ne sont pas sans entraîner des effets pervers : substitution des prérogatives des autorités locales et nationales, dérives clientélistes. Par ailleurs l’Etat péruvien exige des exploitations minières un plus grand respect des normes environnementales et, avant tout lancement de projet, une consultation préalable des populations concernées.

 


MILPO est une entreprise minière péruvienne reconnue pour ses actions de Responsabilité Sociale. Elle a obtenu de nombreuses récompenses, la dernière en date étant le prix de la « meilleure gouvernance » remis par la Bolsa de Valores de Lima le 18 juin 2010. Sa politique de développement de durable est assez représentative de celles entamées par les plus grandes entreprises péruviennes. La plupart ont compris qu’il était de leur intérêt d’aller au-delà de la loi en termes de normes sociales mais ont pendant longtemps limité leurs actions à des projets philanthropiques. Aujourd’hui elles tendent à aligner leurs pratiques RSE sur celles des occidentaux en liant leurs actions à leur cœur d’activité. Leurs programmes restent néanmoins dédiés aux communautés qui vivent près des mines et peu d’actions sont menées en interne. Parmi les projets récurrents :

  • des programmes d’appuie au développement économique local, avec la création de d’une relation étroite et solidaire à la fois avec les clients et les fournisseurs
  • des programmes d’alimentaire, de santé et d’éducation pour palier les manques de l’Etat.

 

 

 

 

Notre entretien avec Francisco Ismodes, Gerente de Asuntos Corporativos, et Milton Alva Villacorta, Jefe Corporativo de Desarrollo Social, nous a amenées à approfondir notre réflexion sur le rôle d’une entreprise, ses objectifs et ses limites.

 


Est-il de la responsabilité d’une entreprise d’investir dans le développement de son environnement ?


Les entreprises ne peuvent pas remplir le rôle de l’Etat et elles ne le doivent pas. Pourtant, lorsque les collectivités locales sont incapables de remplir leur rôle, les entreprises ne peuvent pas non plus rester sans rien faire. La mauvaise gouvernance, la corruption, le manque d’infrastructure et l’insécurité juridique sont autant d’éléments qui affectent les opérations des entreprises. Les entreprises ont une responsabilité envers leurs actionnaires, et en travaillant à développer un environnement propice aux affaires, elles ne font que remplir leur devoir envers leurs actionnaires. Pour lutter contre l’instabilité politique, l’intervention des entreprises n’est pas seulement légitime, elle est nécessaire. Le système “officiel”, dans lequel les entreprises payent un impôt que l’Etat réinvestit dans des infrastructures et dans un système d’éducation et de santé ne fonctionne pas au Pérou. Dans la réalité, l’Etat a délégué ses devoirs aux entreprises qui sont obligées de développer leurs propres projets sociaux.

 


Comment expliquer un tel échec des gouvernements nationaux et locaux?


“Avant, les défaillances de l’Etat pouvaient s’expliquer par un problème de ressource, nous explique Milton Alva Villacorta, aujourd’hui, c’est avant tout un problème de gestion : les gouvernements locaux bénéficient d’une bonne partie des ressources des mines mais ils sont incapables de les utiliser correctement pour répondre aux besoins des populations. A chaque fois qu’un maire change, toutes les équipes d’experts sont renouvelées et il faut tout reprendre à zéro. Il n’y a jamais de capitalisation de connaissances ou d’expérience dans les institutions publiques. »

 

« Le problème, ajoute Francisco Imodes, vient de ce que les leaders sont incapables de remplir leurs devoirs. Trop occupés par les jeux de pouvoir, ils passent leur temps à détruire les actions des partis concurrents. Il faudrait qu’ils réalisent qu’ils représentent tous un seul et même peuple pour faire avancer le Pérou dans une seule direction ».

 


Comment les entreprises agissent-elles  pour changer cette situation?


Les entreprises créent des fondations et s’investissent directement dans des projets de développement durable avec la communauté en collaboration avec des associations locales. Par exemple, MILPO travaille actuellement sur un projet de Nutrition Infantile Durable, avec entre autres, des programmes de formation destinées aux mères de famille, l’installation de cuisines améliorées, et la création d’infrastructure pour accéder à l’eau potable.

« Pour chacun de ses projets, MILPO travaille en collaboration avec tous les représentants de la population, de la prise de décision à la réalisation des programmes, nous explique Milton Alva Villacorta.  Durant ce long processus, les gouvernements locaux gagnent en compétence en termes d’organisation et de gestion de projet, et sont ainsi plus à même de répondre aux demandes de la population ».

 


Un nouveau modèle de développement pour le Pérou?


Les entreprises, lorsqu’elles participent à des projets sociaux, travaillent en collaboration avec les représentants des populations locales. De fait, elles créent un pont entre les gouvernements qui se succèdent et permettent qu’il y ait une continuité dans les actions menées. De cette alliance publique-privée émerge un mouvement de régionalisation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si MILPO se définit comme étant « un allier stratégique dans la construction du développement local ». 

Si dans certaines zones un équilibre a pu être trouvé grâce à la bonne volonté de grandes entreprises, cette situation ne peut être qu’une transition. Selon Francisco Ismodes “La tâche la plus difficile mais la plus importante des entreprises est d’aider au renforcement des institutions démocratiques ». Ils ont pour cela deux leviers d’action :

-         Renforcer la gouvernance politique, par le biais de formations du personnel administratif ou en améliorant les systèmes d’information des services administratifs ou de justice par exemple.

-         Aider à l’émergence d’une conscience politique au sein de la population.

« Ce dernier point est essentiel, insiste Francisco Ismodes, car c’est l’unique moyen de rendre réelle une démocratie participative et de permettre aux peuples de choisir la manière avec laquelle ils veulent se développer. Les hommes politiques auront une feuille de route et devront la suivre, quels que soient leur partis et les jeux politiques du moment ».

Convaincus de l’importance de l’émergence d’une conscience politique, quelques entreprises misent énormément sur des programmes d’éducation, en ouvrant des écoles et en proposant des formations aux jeunes issus des milieux les plus pauvres. Dans le cas de MILO, l’entreprise travaille en collaboration avec l’Institut Péruvien d’Action Empresariale sur le projet « Construire des Ecoles avec Succès » dont le but est de renforcer les capacités de gestion et de leadership des directeurs des institutions éducatives, développer les compétences techniques et méthodologiques des professeurs, encourager l’investissement des parents dans le processus éducatif de leurs enfants, améliorer les structures d’éducation. La question qui se pose est celle de la dépendance des populations à quelques entreprises et de la continuité dans le temps de ces programmes.

 


Conclusion


L’Etat et les entreprises péruviennes ont su s’allier pour faire de l’activité minière un véritable moteur de croissance. Le système alternatif qui s’est peu à peu installé reste cependant bancal et le processus de décentralisation est dangereux dans un pays où les institutions démocratiques sont très fragiles. Un double défi s’impose maintenant aux acteurs régionaux. Pour les autorités locales, il s’agit de pérenniser les programmes et les actions et de travailler conjointement avec le gouvernement central. Les entreprises doivent constituer des alliances stratégiques pour limiter la dépendance des populations à leurs seules entreprises et réussir à maintenir leurs compétitivités malgré des frais importants en dehors de leur activité principale. Le pays  a un fort potentiel et beaucoup de choses restent à faire. « Quand les péruviens auront pris conscience de leur pouvoir, alors le Pérou pourra véritablement changer », conclut Francisco Ismodes.

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